Sous le Mohwa

Sous le Mohwa

Retour sur la journée spéciale NOËL 1941

Samedi 04 décembre 2021


L'hiver est là, cette fois c'est sûr.

 

Un peu de neige est tombé la semaine dernière. Pas de quoi faire un bonhomme de neige, mais suffisamment pour rêver à un Noël tout blanc… et pour que les parents (et certains Vieux Loups très frileux !) s'inquiètent : va-t-on vraiment aller en forêt pour la prochaine sortie ? Mais oui, répond Akéla. Bien équipés, on s'amusera comme des fous, quelle que soit la météo ! Et puis, ce sera une journée spéciale, ce serait trop dommage de la manquer : cette année, pour Noël, on part à Londres, en 1941.

 

Le 4 décembre se lève sous une petite bruine froide, mais pas glacée. Dans la forêt, les gouttes perlent sur les branches et clapotent doucement sur le ruisseau qui a bien grossi depuis la dernière fois : on ne pourra pas aller à la cabane, aujourd'hui.

 

A 10h30, le ciel s'éclaircit, pour la plus grande joie des Vieux Loups qui ont monté le Keweenaw (notre grande bâche de repli), ainsi qu'un autre abri dans le bosquet où l'on se retrouve à chaque fois. Des guirlandes de lumières sont accrochées sous la toile sombre et une ribambelle de cartes postales décore le refuge sous lequel est dressé une table avec une nappe. Une dame en béret de laine est en train d'y installer son magasin quand les loups arrivent de la gare, encapuchonnés de la tête aux pieds.

 

Akéla intercepte la meute avant qu'elle n'aille regarder de plus près ce qui se trame : "savez-vous qui a donné la sagesse de jungle qui nous accompagnera aujourd'hui ? C'est Baden Powell lui-même !"

 

Les Petits d'Homme (en grande majorité) ouvrent de grands yeux : "c'est qui, ça ?" demande Maé.

 

Heureusement, le Sentiers de Jungle vient en aide à la mémoire des plus grands : c'est le monsieur qui a inventé le scoutisme ! Il a vécu il y a trèèèès longtemps.

 

"En 1941, je parie !" s'exclame Museau Pétillant qui a lu avec sa maman l'email envoyé par les Vieux Loups.

 

La sagesse d'aujourd'hui est tirée de son dernier message aux scouts, quelques temps avant sa mort à 84 ans :

 

"Le véritable chemin du bonheur, c'est de donner celui-ci aux autres."

 

Super, mais c'est quoi le bonheur ? Faudrait quand même qu'on le sache avant de pouvoir le distribuer. Les loups ont des idées sur ce que ça pourrait être : passer du temps avec sa famille, faire de l'équitation, manger un bon gâteau, recevoir un cadeau, venir aux scouts… Il nous reste à trouver comment ça se partage, tout ça.

 

Oh oh, certains yeux vifs ont remarqué l'enveloppe posée sur le vieux poste TSF qui attend dans un coin : elle est adressée aux Louveteaux, mais quand on l'ouvre, surprise ! Elle est écrite en Anglais.

 

Heureusement que certains d'entre nous peuvent le lire (et que la traduction est écrite en petites lettres sous les lignes) !

 

Cette lettre nous est envoyée par les Eclaireurs de Londres en 1941 : ils proposent aux Louveteaux de préparer des cadeaux pour les enfants de Londres qui vont fêter Noël sous les bombardements, sans sapin, sans jouets, sans lumières, peut-être même sans leurs familles.

 

Les loups sont enthousiasmés par l'idée de cette bonne action et se mettent aussitôt à farfouiller dans la caisse de laine et de rubans.

 

"Attendez", dit Akéla. "Et si on écrivait chacun nos noms sur des papiers ? On pourrait ainsi penser les uns aux autres en cette période de Noël, comme Teddy et son amie la mangouste Rikki, en faisant de bonnes actions en cachette."

 

Encore mieux ! Les louveteaux ne se connaissent pas encore tous par cœur, à cette troisième sortie de l'année, aussi il leur faut un peu d'aide : "Dis, Mère Louve, c'est qui, lui, à qui je dois faire un cadeau ?" – "Et moi, c'est pour qui ?" – "C'est le garçon avec l'anorak rouge, et pour toi, c'est cette petite fille, là-bas, avec des tresses."

 

Chacun récupère un pot de yahourt en verre, un grelot doré et une bougie (led), puis s'en va vers l'abri pour demander un peu de colle pour givrer son lampion.

 

Au magasin, la dame veut bien nous laisser prendre du sel pailleté pour figurer la neige au fond du bougeoir ("il est gâté, on ne peut plus l'utiliser pour manger"), mais elle refuse catégoriquement de nous donner de ses cannes à sucre exposées dans un bocal.

 

"Il faut un ticket de rationnement pour ça : vous en avez un ? C'est la guerre, je ne peux pas me permettre de vous faire des cadeaux, moi !"

 

Les loups sont bien déçus, les jolies cannes à sucre rayées de rouge leur font envie… Certains tentent même de fabriquer un ticket de rationnement, mais la dame du magasin crie à la fraude.

 

Heureusement les Vieux Loups viennent à la rescousse et trouvent moyen d'acheter un lot de cannes à sucre et de mandarines : "Pour mettre dans le paquet que tu envoies à cet enfant de Londres, parce qu'il n'a sûrement pas eu de bonbons depuis très longtemps, avec la guerre, et que les oranges, c'est très rare et très cher en 1941".

 

Emus, les loups continuent à remplir leurs paquets de menues attentions : des pommes de pin, des pompons de laine qu'ils s'appliquent à enrouler sur des bouts de bois, des fourchettes ou les doigts gantés de Rama.

 

"Et si on allumait la radio ?" propose Baloo. Ce n'est pas tous les jours qu'on peut la capter au milieu de la forêt !

 

On tourne les boutons sur le poste TSF et une voix s'en échappe, en Anglais. Les loups écoutent distraitement, puis sursautent : "c'était Baden Powell qui s'adressait à ces chers scouts", explique le commentateur. "Et maintenant, un peu de musique de Noël ! Bon courage à tous, à Londres !"

 

Nos louvettes anglophones sont enchantées : ces sont les mêmes chants que ceux qu'elles écoutent à la maison en ce moment, qui passent à la radio !

 

Mais les Vieux Loups sont un peu préoccupés : voilà maintenant une infirmière de 1941, avec son brassard de la Croix Rouge. Il se pourrait bien qu'on soit en train de glisser dans le passé, comme cela nous est déjà arrivé souvent à la meute… sauf que 1941, ce n'est pas une période particulièrement paisible, surtout à Londres. S'il y a une alerte, il faudra bien obéir aux consignes.

 

Les loups sont très concentrés sur leurs cadeaux, alors ils ne prêtent pas trop attention à ces paroles… jusqu'au moment où un avion passe en grondant au-dessus de notre forêt, alors qu'à la radio, avec un timing dramatique, la voix entraînante des sœurs Andrew vacille et croasse, remplacée soudain par le son plaintif d'une sirène.

 

"Vite, à l'abri ! Les avions ennemis arrivent !"

 

Les loups se précipitent pour ramasser leurs affaires ("Non, laissez tout, c'est comme l'alerte incendie à l'école !") mais se montrent particulièrement bien disciplinés pour descendre dans l'abri, sans se bousculer.

 

Tous serrés les uns contre les autres sous la bâche, nous attendons anxieusement le retour du silence.

 

"Je crois qu'ils sont passés" souffle Rama. Des parasites froufroutent à la radio, puis les premières notes aigrelettes d'une chanson de Noël se font entendre. Ouf, tout va bien, il n'y a pas eu de bombe.

 

"J'aime pas les alertes, moi", murmure un des plus petits de la meute.

 

Les louveteaux continuent leurs préparatifs, un peu plus graves, un peu plus conscients de leur privilège de vivre en temps de paix malgré les restrictions sanitaires du moment.

 

Certains consultent le panneau appuyé contre un arbre, près du mât de meute. On y voit quelques photos d'époque.

 

"Quand même, leurs masques sont vachement plus embêtants que les nôtres" commente Loup Surprenant. 

"Elle est toute cassée, leur maison", s'apitoie Croc Tenace. "Oh, regarde, c'est ça, les tickets de rationnements !" s'écrie Cœur Dévoué.

 

L'heure tourne, les cadeaux sont bientôt prêts.

 

"Tu m'aides à nouer la ficelle ?" ; "Je voudrais faire un autre pompon" ; "Mais si tu as mis l'étiquette dans le colis, on ne saura pas pour qui c'est !" ; "Si tu ne connais pas ton adresse, tu peux écrire celle du QG des Scouts de Londres, elle est ici, sur l'enveloppe. Mais applique-toi pour le faire comme il faut, on va cocher que tu sais envoyer un colis dans le Sentiers de Jungle, ensuite."

 

On a faim ! Il est bientôt l'heure de se laver les pattes. Quand une autre alerte résonne, les loups savent tout de suite comment réagir… mais quand ils ressortent de l'abri, il y a une surprise dehors.

 

"Hé, c'est une petite fille !"

 

"Je crois qu'elle veut accrocher son dessin sur la ficelle avec les cartes postales, mais elle est trop petite, elle n'y arrive pas…" s'attendrit Elena.

 

"Tu veux de l'aide, petite fille ? Comment tu t'appelles ?"

 

Penny est un peu effrayée au début, mais les louveteaux l'apprivoisent très vite et l'invitent à manger avec eux.

 

Akéla s'inquiète, cependant : "ils sont où, tes parents ?"

 

"Ma maman est à la campagne avec mon petit frère et mon papa, il est dans le ciel avec son avion, il nous protège."

 

"ça veut dire qu'il combat les méchants ?" demande un louveteau.

 

"Oui. Moi, je dois rester avec Tante Patience, mais je m'embête. Elle a dit que je dois rester là, mais j'ai vu un petit chat, alors je l'ai suivi… et après ya eu la sirène, alors je m'ai cachée sous un pont… mais maintenant je ne sais plus retrouver mon chemin."

 

Ah ben voilà. Les louveteaux sont un peu atterrés : "Pourquoi tu n'as pas écouté ta tante ?" s'insurge Sophie. "Mais tu t'es perdue ?" se lamente Griffe Dynamique. "A quoi ressemblaient les maisons ? Tu as vu quoi sur ton chemin ?" insiste Tiago.

 

C'est peine perdue, Penny est incapable de savoir d'où elle vient. Elle a bien une étiquette accrochée à son manteau, comme tous les enfants de 1941, mais apparemment sa tante s'est trompée ce matin, et c'est un billet de coupon de tissu qu'elle a noué au bouton de la petite fille au lieu de l'étiquette avec son nom et son adresse.

 

"Bon, c'est pas grave", dit Akéla. "On cherchera tout à l'heure comment la ramener. On va manger, pour l'instant. Tu as ce qu'il te faut, Penny ?"

 

Oui, pas de problème, la petite fille a son casse-croûte dans une boîte en fer-blanc, comme les louveteaux, avec un thermos de thé chaud pour l'accompagner.

 

Elle le partage avec son lapin en peluche : "il s'appelle comment, ton doudou ?" interroge Lise. "Il s'appelle Teddy". Oreille Sincère fronce les sourcils : "et ça veut dire quoi, Teddy ? Moi, mon prénom veut dire "jeune pousse".

 

Penny réfléchit en penchant la tête de côté. "Teddy, ça veut dire Théodore en plus court. Comme moi je m'appelle Penelope, mais mon papa dit que c'est pour les dames, Penelope, alors on me dit Penny".

 

Patte Vive déballe le contenu de son joli panier en osier super authentique, tandis que Hannah, l'infirmière, ouvre la serviette à carreaux dans laquelle est emballé son pique-nique : "Voyons voir ce qu'il y a à l'ordinaire de l'hôpital aujourd'hui… Oh, des sardines ! C'est une bonne journée !"

 

Rama mange son sandwich en faisant les cent pas. "Quand même, je me demande pourquoi il ne t'a pas envoyé hors de Londres, ton papa. C'est mieux pour les enfants d'être à la campagne, là où il n'y a pas de danger", grommelle-t-il.

 

Penny fait la grimace : "je ne veux pas aller dans une famille que je connais pas. En plus il faut prendre le train, c'est très loin." Les louveteaux hochent la tête avec compréhension. C'est mieux de rester avec ses parents, dans ces circonstances.

 

"Mais il faut qu'on te ramène chez toi, sinon ton papa quand il va revenir pour Noël, il ne te trouvera pas, il va s'inquiéter" dit Abby avec sollicitude.

 

"Mais je ne sais pas si son papa pourra rentrer à Noël", dit Rama gravement. "Les ennemis ne vont pas faire de pause, même cette nuit-là, il y aura sûrement des raids aussi. Alors le papa de Penny devra sûrement voler avec son avion, lui-aussi…"

 

"Tais-toi, tu la rends triste !" s'indignent les loups.

 

"Ma maison elle est toute cassée, mais on va se cacher dans le métro, on pourra faire Noël quand même" affirme Penny d'un ton de défi. "Même que Tante Patience et les dames là-bas, elles ont fait des décorations avec du papier aluminimum et des rouleaux du papier des toilettes. Et mon papa va venir, il a promis."

 

"Du papier aluminium", corrige Oreille Sincère.

 

"Mais oui, il va venir, ton papa. Je l'ai vu dans la rue l'autre jour", assure Violette.

 

"Il est pas dans la rue, il est dans son avion", rectifie la petite fille.

 

"Oui. Bon. Peut-être que c'était un clone", reprend la louvette sans se démonter.

 

"Mon papa, c'est pas un clown ! Tu dis n'importe quoi !" s'écrie Penny, mécontente, et les louveteaux rigolent : "un clone, pas un clown ! C'est comme un sosie. Tu sais pas ce que c'est, mais nous oui. C'est parce qu'on vient du vingt-et-unième siècle !"

 

Les voyages temporels embrouillent Penny, mais les louveteaux sont ravis de montrer qu'ils sont plus âgés qu'elle.

 

"C'est quand qu'elle est allée à la campagne, ta maman, avec ton petit frère ?" interroge Sophie avec compassion.

 

"Ya longtemps. C'était à mon anniversaire de mes six ans."

 

"Et t'as quel âge maintenant ?" s'enquiert Griffe Dynamique.

 

"Six ans et demi."

 

"Ah ouais, ça fait six mois, quand même… c'est long", commente un louveteau.

 

Après le repas, on joue à "un deux trois soleil" et on se console de ne pas pouvoir aller à la cabane en enroulant de la ficelle sur un tronc d'arbre. "N'oubliez pas qu'il va falloir l'enlever ensuite" rappelle Akéla qui n'est pas vraiment convaincue par cette installation. "On ne laisse rien derrière soi dans la forêt, comme Baden Powell nous l'a appris".

 

A 14h00, les loups se rassemblent pour décider quoi faire de Penny. "Il nous faudrait un indice pour savoir quelle direction prendre pour la ramener".

 

Quand on questionne la petite fille, elle se souvient heureusement d'avoir marché près de l'eau. "A Londres, il y a une grande rivière qui s'appelle la Tamise" explique Akéla. "C'est sûrement ce qu'elle veut dire. Il faudrait se diriger vers le port pour poser des questions".

 

Comme le mécanicien coiffé d'une casquette bleu qui est apparu à quelque distance du camp il y a quelques minutes les intriguait déjà beaucoup, les louveteaux font tout de suite le lien. "On y va !" s'écrient-ils.

 

"Attendez", les rappelle la dame du magasin. "J'aimerais bien que vous emportiez ces sacs de colis. Je ne pourrais pas le faire moi-même, je dois garder ma boutique car les vitrines sont toutes cassées à cause des bombes. On pourrait me voler ! Quand je pense qu'avant la guerre, j'avais tout ce que je voulais… Maintenant je manque de tout, je ne peux jamais avoir ce que je veux au moment où je le veux… je ne peux vraiment pas être heureuse…"

 

Les louveteaux sont contents de pouvoir rendre service, eux, et ils s'en vont vers le port, gonflés par l'importance de leur double mission. Abby a pris Penny par la main, pour être sûre qu'elle ne se perde pas à nouveau. Museau Pétillant et Patte Vive, quant à elles, ont entonné Vive le vent et tout le répertoire des chants de Noël y passe ensuite.

 

Ben, le mécano qui accueille les loups, est plutôt grognon, quant à lui.

 

"Avant la guerre, je voyageais, je faisais tout ce qu'il me plaisait, je rencontrais plein de gens… maintenant je ne peux plus rien faire, je suis cloué au port, on n'a plus le droit de circuler. Et vous, vous aimez faire quoi dans la vie ? Et est-ce que vous seriez vraiment contrariés de ne plus pouvoir le faire ?"

 

Les réponses fusent immédiatement. Les enfants sont d'accord avec Ben : ça craint, d'être privé de ses activités préférées. "Mais au moins, tu n'es pas malade, ne te plains pas !"

 

En parlant de ça, Ben n'a aucune idée d'où vient Penny, mais il pense qu'on devrait aller se renseigner à l'hôpital. La petite fille proteste : là-bas, on fait des piqûres et on doit boire des médicaments dégoûtants. En plus elle n'est pas malade ! Ben l'écarte et chuchote aux enfants qu'il est peut-être arrivé quelque chose à sa tante, c'est sûrement pour ça que celle-ci ne la cherche pas.

 

Il montre quelques photos des docks, que les avions ennemis visent en priorité pour empêcher les usines de fonctionner.

 

"Mais puisqu'ils viennent nous bombarder toutes les nuits, pourquoi on ne fait pas pareil chez eux ?" demande gravement une des grandes filles, pendant que les loups sont épatés de voir un garçon tricoter sur une des photos. "C'est compliqué", répond Ben. "Nous, on ne peut pas toujours comprendre ce que le gouvernement décide. Mais ce qu'on peut faire, c'est de notre mieux pour que chacun vive cette situation difficile aussi bien que possible."

 

Les louveteaux s'élancent déjà vers l'hôpital. "Attendez-nous !" crient les louvettes. "Si vous marchez n'importe où, c'est dangereux !"

 

"Soyez prudents en route et mettez-vous à l'abri si vous entendez une alerte", les hèle encore Ben. "Je m'occupe d'acheminer vos cadeaux vers les enfants de Londres !"

 

En route, la meute tombe sur la dame du magasin. "Je suis tombée en me dépêchant pour rentrer chez moi", explique-t-elle. "J'ai trébuché dans les décombres et je me suis fait mal à la jambe, je ne peux pas me relever."

 

Décombres est un mot qu'on connaîtra bien, à la fin de la journée : "ça veut dire qu'il y a des poutres et des machins par terre, parce que les maisons sont écroulées."

 

Les loups veulent tout de suite aller chercher de l'aide, mais Penny freine des quatre pieds. "Il y a quelque chose à faire d'abord", proteste-t-elle. "Je me rappelle plus très bien, mais ça commence par P, comme Penny ou comme… protéger !"

 

Les visages des louvards s'illuminent immédiatement : "Ah oui ! C'est écrit dans le Sentiers de Jungle ! Protéger, alerter, secourir. D'abord on doit voir s'il n'y a pas du danger."

 

Après quelques péripéties, on est sûr que les "décombres" ne causeront pas davantage de problèmes, on a mis des guetteurs au cas où une alerte résonnerait et un groupe file à l'hôpital prévenir l'infirmière.

 

"Allons, que se passe-t-il ici ? Ah, ma pauv' dame… dîtes, les enfants, si quelqu'un s'est écorché, qu'est-ce qu'on fait ?"

 

"Il faut mettre un pansement !" disent les uns, "il faut se laver les mains d'abord", protestent les autres. "Si t'as pas d'eau, tu mets du gel".

 

Penny approuve : "c'est parce que sinon ya des micopes". Deux minutes plus tard, elle se met à brailler qu'elle saigne du nez, mais les louvettes qui l'ont prise sous leur aile ne se démontent pas : "ne penche pas ta tête en arrière… voilà, arrête de pleurnicher, Penelope, c'est pas grave, on va te mettre un coton dans la narine."

 

Les louveteaux, quant à eux, sont plus intéressés par les photos d'époque. "Elles sont vraiment courageuses, les infirmières", commente Tiago, tandis que Siméon s'inquiète "oh, la pauvre petite fille, qu'est-ce qu'il lui est arrivé ?" et qu'Œil Imaginatif s'exclame avec admiration : "Ils vont partout pour soigner les gens, t'as vu !"

Hannah, notre infirmière, hoche la tête : "oui, tu vois, ça c'est dans le métro. Le docteur examine les enfants qui se sont mis à l'abri."

 

On lui demande si elle connaît Penny, mais elle se souvient seulement d'avoir soigné sa maman avant que celle-ci ne soit évacuée à la campagne avec son bébé. "Il faudrait demander à l'église", suggère-t-elle. "Les volontaires sauront sûrement comment faire pour retrouver sa famille, ils aident les gens qui ont perdu leurs maisons et ils recueillent les enfants."

 

En route, Violette récapitule : "bon, ta maman s'appelle Marguerite (Margaret) et ton petit frère Olivier (Oliver). Et ton papa, il s'appelle comment ?"

 

"C'est le capitaine Ryan, je t'ai déjà dit !" grogne Penny. "Je suis fatiguée, quand est-ce qu'on arrive ?"

 

"Je le sais, que tu t'appelles Penny Ryan", reprend la louvette avec patience. "Mais son prénom, à ton papa, c'est quoi ?"

 

"Ah ! Il s'appelle Henry".

 

"Henri. Hum. Je vois."

 

 Derrière elles, les spéculations sur la suite des évènements ont pris une tournure sombre : "il est mort, son papa, j'en suis sûr", affirme Loup Surprenant. "les Allemands ont envahi l'Angleterre."

 

"On ne doit pas dire les Allemands", corrige Cœur Dévoué gravement. "On doit dire les Nazis. Tous les Allemands ne sont pas d'accord avec la guerre, il y en a qui ne veulent pas que ça se passe comme ça."

 

"Et puis on le saurait, si l'Angleterre avait perdu la guerre : on aurait entendu les cloches sonner : aucun clocher n'avait le droit de faire sonner ses cloches en 1941, même pour les mariages ou pour Noël, parce que c'était le signal pour dire que le pays était envahi. Tant qu'on n'entendait rien, ça voulait dire que la Grande-Bretagne était encore libre", précise Akéla.

 

Cela rassure ceux des loups qui s'inquiétaient d'une invasion prochaine ("on fait quoi, si les Allemands arrivent ?" – "On reste calme, la Reine et Monsieur Churchill ont dit qu'on ne doit pas s'affoler, on doit continuer comme avant.")

 

Mais à l'église, une mauvaise surprise attend encore les louveteaux : tout est détruit.

 

"Mais c'est pas juste ! Ils bombardent même les églises ? Mais pourquoi ?" s'exclament les enfants scandalisés en découvrant le panneau sur place. "Ils n'ont rien fait les gens, pourtant… les pauvres ! Comment ils font s'ils sont dedans quand il y a une bombe qui tombe ? C'est vraiment pas gentil !"

 

Ils sont un peu réconfortés cependant en apprenant qu'il y avait des louveteaux en 1941 aussi : "qu'est-ce qu'ils sont en train de faire, sur la photo ?" ; et en lisant les explications sous les portraits des éclaireurs et des guides de l'époque : "eux, ils ont fait leur promesse, c'est sûr !"

 

"Pourquoi récupérer du papier, ça aide les soldats ?" demande Pelage Observateur.

 

D'autres ont repéré évidemment la dame qui tricote dans l'abri au fond de son jardin… et qui porte un masque exactement comme celui qui leur est imposé à l'école !

 

"Tu vois, c'était difficile pour eux à l'époque, un peu comme pour nous aussi des fois… mais ils faisaient de leur mieux et ils essayaient d'être toujours gais, malgré les circonstances."

 

"Quand même, je suis content de ne pas être dans la guerre, moi", soupire un des plus petits de la meute.

 

Akéla rassemble les louveteaux autour de Nancy, une volontaire qui propose de les emmener au plus proche abri souterrain puisque l'église est en ruines, à une station de métro qui a un drôle de nom : "Eléphant et Château".

 

Là-bas, les enfants peuvent enfin s'asseoir après cette longue marche, mais ils ne sont pas au bout de leurs peines parce qu'il leur faut consoler Penny : "c'est impossible d'être heureux, alors ? Si on ne peut pas être heureux quand on n'a pas tout ce qu'on veut, si on ne peut pas être heureux quand on ne peut pas faire tout ce qu'on veut, si on ne peut pas être heureux quand on est malade ou qu'on s'est fait mal, si on ne peut pas être heureux quand on n'a pas les gens qu'on aime avec nous… alors moi je serais toujours triste !" sanglote-t-elle.

 

Affligés, les enfants ne savent plus quoi dire. Mais Nancy vient à leur aide : "écoute, Penny. Je connais un bonheur, moi, que rien ne peut nous enlever, quoi qu'il arrive. Si tu veux bien m'écouter un moment, je vais te l'expliquer".

 

Penny hoche le menton en essuyant ses larmes et le Cercle du Feu peut commencer.

 

Nancy raconte une histoire, celle d'un homme qui voudrait être heureux et qui essaie par tous les moyens de trouver quelque chose qui remplisse le vide dans son cœur. Mais il ne trouve rien qui ne soit assez pour le satisfaire…

 

Rikki, qui a mis pour un moment son costume de 1941 de côté, découpe sa feuille de papier en parlant et colle sur le dos du panneau que lui tient Akéla les morceaux de canson rouge qui prennent tour à tour la forme des mots importants à retenir : Jésus a donné sa vie ("L.I.F.E") sur la croix, parce qu'il nous aimait ("L.O.V.E").

 

Dieu veut que nous soyons heureux, il nous a fait un merveilleux cadeau à Noël, un cadeau plus formidable que tous les cadeaux que nous pourrions avoir, un cadeau que personne ne peut nous enlever et qui nous rendra heureux pour toujours : il a envoyé son fils sur la Terre pour nous apprendre à nous aimer les uns les autres.

 

Les louveteaux ont bien compris : c'est le choix de chacun de croire en cela ou non. Comme pour n'importe quel autre cadeau, on est libre d'accepter ou de refuser ce qui nous est offert.

 

"Mais moi j'ai compris quelque chose", dit la dame du magasin qui a écouté aussi, dans un coin de l'abri. "Maintenant que j'ai ce bonheur dans mon cœur, j'ai envie de le partager avec les autres, de les aimer aussi. Alors je vous propose de vous offrir le goûter, il n'y aura pas besoin de tickets de rationnement, vous pourrez chacun avoir de quoi manger – même des mandarines !"

 

Des hourras éclatent, on file se laver les pattes illico. Penny a repris le sourire, elle s'assoit au milieu des enfants pour manger ses biscuits avec le chocolat chaud agrémenté de guimauves que distribuent Hannah et Nancy : elle vient de se souvenir que c'est ici, la station de métro dont elle vient !

 

Elle montre aux louveteaux les photos des londoniens en train de décorer les souterrains lors de ce Noël 1941 :

 

"Et là, c'est Miss Potter, ma maîtresse, qui nous fait l'école dans le métro."

 

– "Tu es où, sur la photo ?" demande Moustache Discrète.

 

– "Oh, ils dorment par terre, les pauvres… et même sur les rails ! Ce n'est pas trop inconfortable ? Et s'il y a un train, comment ils font ?" s'étonne Œil Imaginatif.

 

Tout le monde est surexcité à l'idée d'ouvrir les cadeaux, mais avant ça, il y a une surprise…

 

Les louveteaux se trémoussent, ravis, quand ils aperçoivent un monsieur avec un blouson d'aviateur et des lunettes, qui s'approche avec sa valise.

 

"Penny. Penny, regarde… quelqu'un arrive…"

 

"C'est mon papa !!!"

 

Le capitaine Ryan a trop la class', avec sa cocarde de la RAF sur le bras et son insigne à trois étoiles ("c'est toi qui l'as cousu tout seul ?!"), et quand il s'agenouille pour ouvrir sa valise et qu'il en sort un paquet enrubanné, quatorze paires d'yeux brillants suivent ses mouvements avec autant d'intérêt que la petite fille.

 

"Tu m'as ramené une poupée ?"

 

"Pas tout à fait, Penny… vas-y, ouvre ton cadeau."

 

Les loups sont presque aussi déçus que Penny quand ils découvrent la lampe en cuivre couchée dans le papier écarlate : "C'est pas un jouet… la pauvre…"

 

"On n'a même pas le droit d'allumer les lampes dans les abris quand y'a une alerte, qu'est-ce que je vais faire avec ça…" pleurniche la petite fille.

 

Mais le capitaine Ryan soulève la vieille lampe et remonte le mécanisme dessous. Quelques notes s'égrènent doucement sous la bâche éclairée par les lanternes.

 

"Quand je ne pourrais pas être avec toi et que tu seras triste, que tu auras peur… tu pourras écouter cette musique et te souvenir que de là-haut dans le ciel, je veille sur toi et je pense à toi", explique gentiment le papa aviateur.

 

Penny ne pleure plus, au contraire. Un joli sourire se dessine sur son visage.

 

"C'est la même musique que maman et toi vous me chantez pour m'endormir", souffle-t-elle. "Merci papa…"

 

Les loups, autour, sourient eux aussi en se poussant du coude : "c'est trop mignon !"

 

"Est-ce que ça vous dirait d'avoir aussi vos cadeaux ?" demande Akéla à la ronde.

 

Oh OUI, trois fois oui !

 

Pendant que Nancy orchestre la chorale de Noël, le capitaine Ryan tient les sacs ouverts et des louvettes font la distribution. De partout des exclamations joyeuses fusent : "Oooh, regarde, il est trop joli, le mien !"*

 

Simon, mais ce n'est pas le seul, me tire par la manche : "c'est qui qui a fait le mien ? Je veux lui dire merci".

 

J'ai décroché les cartes épinglées sur la ficelle et je les distribue : "mais y'a aussi des cartes ?!" ; "C'est aussi pour moi, ça ? Mais c'est trop gentil !" ; "Oh, c'est toi qui m'as écrit ??" ; "moi aussi j'en ai eu une !" ; "tu peux me lire ce qu'il y a écrit là ?" ; "merci… merci beaucoup, vous êtes trop gentils…"

 

Les yeux brillent d'émotion, les visages illuminés se lèvent un instant sous la bâche pour remercier, chercher la personne qui a fait plaisir, partager la joie qui réchauffe l'abri sous la bâche.

 

Il n'y a pas de jouets, pas de sapin, pas vraiment de décoration, pas de repas gargantuesque, même pas de neige… et toute la meute n'est pas là pour vivre ce moment… mais pendant quelques instants, il n'y a aucun doute : ce soir de décembre sous un crachin froid, c'est Noël, c'est vraiment Noël – comme à Londres en 1941.

 

"Vous venez, les loups ? Il y a encore quelque chose d'important à faire, avant de retourner voir les parents…"

 

La meute se rassemble autour d'Akéla.

 

L'aviateur est redevenu Rama, la dame du magasin a renfilé le pelage bleu et jaune de Bagheera, Baloo a quitté son tablier et sa coiffe d'infirmière. Rikki est frigorifiée dans son costume de Nancy, mais elle est présente elle-aussi.

 

"Tu n'es plus Penny, Mère Louve, maintenant ?" – "Non, parce qu'on est revenu à notre époque. C'est fini, le jeu. On est de retour en France en 2021, il n'y a pas la guerre ici".

 

Tiago et Lise s'avancent, impressionnés mais résolus, et Akéla reçoit tour à tour leur promesse.

 

"Je sais que vous la tiendrez comme ces scouts d'autrefois ont tenu la leur, avec honneur et avec courage. Et toute la meute vous aidera à faire de votre mieux."

 

La nuit tombe, à présent. Il est temps de quitter l'abri pour retourner à la gare avec Baloo et Akéla.

 

"Au-revoir, les loups, passez de bonnes fêtes ! A l'année prochaine !" – "Au revoir Rama, à bientôt Mère Louve ! Au-revoir Bagheera, Rikki ! A la prochaine fois !"

 

Pour certains, les mots ne réussissent pas à sortir, mais je lis dans leurs yeux toute l'émotion qui gonfle leurs cœurs, sous le cadeau qu'ils serrent contre eux. "Merci… merci…" soufflent-ils avant de se sauver pour rejoindre les autres sur le chemin.

 

La pluie se met à tomber, froide et serrée, et grelotte sur les bâches tandis que la nuit engloutit très vite les nappes à carreaux, la luge, le poste TSF, les bougies led et les rubans qui tout à l'heure ornaient les tresses des filles. Le sel pailleté ressemble vraiment à de la neige quand les lueurs des lampes de poche passent dessus pendant que les Vieux Loups trempés démontent le campement à toute vitesse.

 

On se caille, il fait noir, on patauge dans la boue et il s'écoulera encore un long moment avant que nous soyons tous rentrés chez nous, au chaud… mais c'est sûr, cette journée en valait la peine. "Tu as vu leurs têtes ?" ; "ils étaient trop contents" ; "c'était super !" ; "j'ai trop hâte de voir les photos."

 

De Noël 1941 à Noël 2021, il y a quatre-vingts ans – exactement l'âge de Robert Baden Powell lorsqu'il adressa aux scouts du monde entier ce fameux conseil – mais ce soir, plus encore que tous les autres soirs d'activités, je sais qu'il est toujours vrai :

 

"Le bonheur n'est pas quelque chose d'éphémère, il existe dans la durée. Et il vient en grande partie non pas des plaisirs que l'on peut avoir, mais des bonnes actions que l'on fait autour de soi.

 

Quand tu te retrouves sans rien à faire, rappelle-toi qu'autour de toi, il y a sûrement quelqu'un de moins bien loti que toi.

 

Et si tu vas vers cette personne et que tu l'aides, que tu essaies de lui remonter le moral, alors une drôle de chose va se produire. Tu réaliseras qu'en donnant du bonheur à quelqu'un d'autre, toi aussi tu reçois du bonheur."

 

Joyeux Noël à toi et à toute ta famille, Petit Loup.

 



14/12/2021
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