Sous le Mohwa

[Vous passez votre temps à vous couper la parole et à répéter des trucs comme : "C'est une affaire très grave. - Je dirais même plus, chère collègue, c'est une affaire très grave" ou "Motus et Bouche cousue, c'est notre devise. - Je dirais même plus : Botus et Mouche cousue, c'est notre venise.]

Nous sommes Thelma Dupont et Daphné Dupond. Nous travaillons pour la Police Secrète et notre âge ne regarde que nous. Nous connaissons Tintin depuis longtemps : il a la fâcheuse manie de se mêler de tout. Bon, il faut reconnaître qu'en général avec lui, les missions se terminent plus rapidement et sont toujours couronnées de succès.

Nous sommes venus en Sydavie il y a quelques mois à la demande du Grand Chancelier, pour retrouver le Sceptre d'Ottokar qui avait disparu des coffres du Trésor Royal. Sans le Sceptre, la Princesse Nouchka ne peut pas être couronnée Reine et si le couronnement n'a pas lieu, le pays voisin, la Bordurie, sous la dictature du Général Pleksy-Gladz, en profitera pour envahir les frontières et prendre le pouvoir.

Nous pensions avoir trouvé la piste du Sceptre à bord du Karaboudjian, un navire marchand sous le commandement du Capitaine Haddock, mais il s'est révélé que celui-ci n'avait rien à voir avec cette affaire. Nous sommes repartis à Interpol demander si nous devions nous mêler de l'affaire de contrebande de bouteilles d'eau minérale que nous avions découvert, pendant que Tintin partait au San Théodoros chercher une maquette de bateau qui devait l'aider à retrouver le Sceptre (nous n'avons pas compris exactement comment ni pourquoi, mais bon, c'est Tintin. Il devait savoir ce qu'il faisait).

Ensuite, comme l'avion de la princesse s'était crashé, nous sommes revenus en Syldavie pour protéger le Professeur Pivoine dont le Projet Top Secret intéressait beaucoup la Bordurie. Nous nous sommes dissimulés à bord de la fusée pour la protéger des espions en pensant que le départ était à 13h34 le 14 mars, mais il était en fait fixé à 01h34 le 14 mars et nous nous sommes retrouvés piégés à bord.

Le décollage, puis l'atterrissage en catastrophe nous ont tellement secoués que nous ne sommes sorties de la cale que hier soir vers 19h (nous avions un peu faim). C'est là que nous avons appris avec stupéfaction que nous étions sur la Lune – enfin, au Tibet, plus exactement – et que la princesse avait été retrouvée, vivant avec M. Ranko, abominable homme des neiges de son métier, dans une caverne.

Notre rapport à Interpol risque d'être très compliqué, surtout que depuis que la fusée a été sabotée, nous avons des raisons de soupçonner tout le monde. Voyez-vous, nous sommes persuadés que chacun ici présent, nous exceptées, a une excellente raison d'empêcher cette fusée de décoller.

Prenons le capitaine, par exemple : il a juré qu'il ne remettrait plus jamais les pieds à bord de, nous citons : "ce cigare volant". Ce Ranko a certainement peur de se retrouver seul sur sa montagne sans la princesse pour lui tenir compagnie. Pivoine est cinglée, comme tous les savants. Comment savoir ce qui se passe dans le cerveau de quelqu'un qui veut aller sur la Lune ? La princesse a probablement peur de régner sans son père à ses côtés. Nous n'avons pas trop d'idée sur ce qui pourrait retenir ici Tintin, mais nous finirons bien par trouver. Rien ne nous échappe, nous avons l'œil !

Ce que nous avons fait hier soir ? Hummmm… Nous n'avons rien fait de suspect. Nous sommes allés nous coucher à 4h du matin et nous avons vu le Capitaine rire comme un bossu en lisant le carnet de Tintin, ce qui nous a semblé très louche, mais nous n'avons pas pu savoir ce qui causait tant d'hilarité chez lui.

Avant cela ? Ahem. Eh bien, nous étions… nous avons… eh bien à minuit, nous étions dans la salle des Petits Réservoirs et nous avons entendu un bruit suspect à l'étage. Oui, oui, un bruit très inquiétant et très inhabituel. Nous sommes bien sûr allées enquêter, comme deux détectives professionnelles et bien entendu nous n'avons pas cru un mot de ce que prétendait Tintin que nous avons croisé devant la porte de la Soute aux Vivres à 1h : le pauvre garçon était persuadé qu'il y avait un fantôme à l'intérieur de la pièce ! Haha. Il devait sans doute trouver amusant d'effrayer la Princesse qui se trouvait par hasard avec lui. Elle avait sans doute peur d'être toute seule dans ce lieu inconnu.

A 3h, nous voulions retourner à la salle des Petits Réservoirs pour… ahem, des choses Top Secrètes qui ne concernent pas les enfants, mais Ranko s'y était installé pour passer la nuit, nous avons donc dû, euh… nous sommes allés au Poste de Pilotage. Pour inspecter, bien sûr. Nous sommes des professionnels de l'Inspection. Hum. Et sur ce, pendant que nous inspections le Régénérateur d'air, le Professeur Pivoine est arrivée et nous a obligé à aller nous coucher. Nous n'avons pas voulu la contrarier. Vous comprenez, elle ressemble un peu à la maîtresse que nous avions en CP – "Dupont en avait très peur. - Pas du tout, Dupond, c'était toi qui tremblais devant elle !" Enfin, voilà pour nos allers et venues.

Où nous étions à 21h ? Eh bien, euh… nous étions… nous avions décidé de vérifier les… euh… nous descendions au sas. Pour voir si la porte de la fusée était bien fermée à clé. Nous avons eu raison de faire ça, car la porte au contraire était grande ouverte : le capitaine prenait le frais sur le seuil. Il est parti en marmonnant quelque chose dans sa barbe, nous n'avons pas su quoi, nous étions occupées à regarder dans le placard des scaphandriers, pour voir si les bouteilles d'oxygène étaient bien pleines. Important, pour éviter les mauvaises surprises, vous comprenez. Nous sommes restées au sas de 22h à 23h et ensuite nous sommes montés aux Petits Réservoirs, "après qu'une des bouteilles me soit tombée sur le pied – "par la faute de Dupond qui est vraiment trop maladroit ! – Pas du tout, Dupont, c'est toi le maladroit, si tu n'avais pas tourné cette clé dans le mauvais sens, nous n'aurions pas vidé la bouteille !" ENFIN BREF.

Nous, euh… nous avons continué notre inspection par les Petits Réservoirs. Où nous avons trouvé une bonbonne d'oxygène pleine facile à transporter ! Mais c'est là que nous avons entendu le bruit à l'étage. Ce devait être minuit, ce qui explique pourquoi on pouvait croire qu'il s'agissait d'un fantôme et pourquoi nous avons oublié la bonbonne d'oxygène en sortant pour aller chercher de l'aide – enfin pour aller inspecter, comme nous vous le disions plus tôt.

Qu'est-ce qu'il vous manque ? Vous n'êtes pas très organisés pour des enquêteurs. Vous devriez tenir un tableau des horaires et des déplacements de chacun des suspects, voilà ce que vous devriez faire, si vous étiez des professionnels.

En ce qui nous concerne, nous étions à 2h du matin dans la chambre et nous y étions seuls, oui messieurs-dames. Nous n'avons aucune idée de là où se trouvaient les autres suspects mais ils étaient certainement tous occupés à des choses suspectes, vu cette heure tardive.

Ce que vous dîtes le plus tard possible (en tout cas pas avant le deuxième passage) : A 20h, nous étions dans la chambre, nous y étions seules. Nous nous mettions sagement en pyjama et ce n'est certainement pas de notre faute si le régénérateur d'air de la chambre s'est soudain mis à siffler comme si une poussière y était coincée.

N'importe qui d'autre aurait sans doute fait sauter la fusée en touchant n'importe quoi, mais mon collègue et moi nous avons très sereinement géré la situation en tournant le bouton de bleu sur rouge et le sifflement s'est aussitôt arrêté. Ce n'est certainement pas notre faute si tout l'air s'en est aussi échappé. Si la fusée était mieux construite et si les boutons portaient des étiquettes, ce serait beaucoup plus simple d'y vivre. Dans tous les cas, nous ne sommes pas du genre à laisser quelqu'un d'autre assumer nos erreurs. Nous avons tout fait depuis pour réparer celle-ci et c'est vraiment par malchance que nous n'y sommes pas parvenues.

Ce que vous essayez de faire deviner : Vous avez accidentellement vidé le régénérateur d'air de la chambre à 20h. Tous vos déplacements ensuite constituent vos recherches d'oxygène pour re-remplir le régénérateur… mais en fin de compte, vous n'y êtes pas parvenues, mais vous avez par contre vidé toutes les réserves partout…