Sous le Mohwa

COTTIA

Je m'appelle Cottia, je suis une princesse de la tribu des Iceni, fille de Kaeso l'éleveur de chevaux. C'est ma tante Valéria qui m'élève – ma mère en a décidé ainsi – et elle a changé mon nom en Camilla. Berk. C'est vraiment un nom de romaine, sans force et sans passion. Je regrette plus que tout de ne pas être avec mes frères, à courir dans les bois et à chasser et à me baigner quand j'en ai envie, à manger ce qui me plaît, rôti sur un feu que j'ai fait…

J'aime ma tante, mais elle me SAOULE. J'aime beaucoup mieux écouter Marcus parler de sa vie de légionnaire, raconter des batailles ou des histoires de soldats qui me font rire, ou me décrire sa maison en Égypte : c'est un endroit tellement différent de la Bretagne ! Je suis vraiment contente que Marcus aie racheté la vie d'Esca et encore plus qu'il l'ait libéré ! Si j'avais pu, c'est ce que j'aurais fait moi aussi. Esca est un peu timide, mais il est très fort avec ses armes et lui, au moins, il ne me dit pas "attention tu vas te faire mal" dès que je m'approche d'un couteau. Il sait bien qu'une fille des Iceni, comme dans sa tribu à lui les Boucliers Bleus, est habituée à se défendre depuis toute petite.

Je me sens malade depuis la 7^ème heure. J'ai des frissons, je vomis, j'ai la tête qui tourne. Je ne sais pas ce qui m'arrive. J'ai essayé de boire un peu d'eau, parce que j'avais la gorge qui me faisait mal, à force, mais je n'y arrive pas. Je n'ai jamais été malade comme ça de toute ma vie, sauf le jour où j'ai bu du lait caillé de brebis pour la seule et unique fois. C'était quand j'étais encore chez les Iceni, pendant une fête. Ça m'avait fait un effet terrible ! Je n'en ai plus jamais rebu.

Je ne suis pas restée longtemps au repas – je crois que je suis partie pendant que Marcus parlait avec Antonius. J'espérais que la fraîcheur de ma chambre m'aiderait à me sentir mieux, mais j'allais de plus en plus mal. Je suis allée trouver ma tante et ensuite… c'est très flou. Elle a essayé de me soigner, mais j'étais de plus en plus malade.

Ça va un peu mieux maintenant, mais… euh, non pas sûr. Je crois que je vais vomir de nouveau. Je ne comprends pas ce qui m'arrive !

En tout cas, Valéria était très douce et très gentille, et je sais que ça a dû lui coûter. Vu comme elle s'était parfumée et habillée avec sa plus belle robe et ses bijoux préférés, à mon avis elle avait rendez-vous avec Servius, cette après-midi. Elle croit que je ne le sais pas, mais elle est amoureuse de lui. Je ne sais pas ce qu'elle lui trouve. Il est vieux, bedonnant et en plus il commence à être chauve. C'est un plaideur (avocat), alors il parle en faisant des gestes comme un sénateur ou un poète tragique et il a des fois des trémolos dans la voix. Il n'est pas méchant, mais il est un peu ridicule, je dois dire. Je ne sais pas ce qu'elle lui trouve. Ce n'est pas un guerrier, il ne monte même pas à cheval ! Il se déplace sur un petit âne blanc et bouclé qui ressemble à un mouton, avec des clochettes à son harnais. Valéria se met tout le temps à la fenêtre pour le regarder passer avec ses cils qui battent. Elle se pâme "ohhhh, Serviuuuus, vous êtes tellement galant et raffiné…" C'est très drôle. S'ils se marient, en tout cas j'espère qu'elle ne m'obligera pas à porter une nouvelle robe à la mode romaine. On se gèle avec aussi peu de tissu sur soi ! Et ce n'est pas du tout pratique pour marcher vite.

J'aimerai mieux qu'elle me laisse avoir un loup apprivoisé. Marcus m'a raconté que son frère en avait eu un pendant plusieurs années, quand il était en Gaule. J'ai demandé à Flavia de m'en parler, mais ça lui rappelle des souvenirs et ça lui fait de la peine. Ce n'est pas grave. Un jour j'irais avec Esca dans la forêt et nous trouverons un bébé loup. On le ramènera à Marcus, ça lui remontera le moral de s'en occuper.

Ce matin, je me suis réveillée tard (vers la 5^ème heure, je crois), mais c'est parce que je m'étais couchée tard aussi. Attention, n'allez pas le répéter à ma tante ! Elle en ferait tout un fromage et elle m'enfermerait dans ma chambre pendant des jours ! Je me suis couchée tard parce que je m'entrainais avec Esca. Il m'apprend à me battre avec une épée. Je sais jeter une lance, bien sûr – j'ai déjà tué un sanglier à la chasse – mais je ne sais pas me servir d'une épée. Marcus est très gentil avec moi, mais il ne veut pas m'apprendre. Il dit que je suis déjà assez dangereuse avec mes dents. Il rigole, mais c'est vrai. J'ai mordu Stéphanos, le légionnaire de garde, l'autre jour, parce qu'il ne voulait pas me laisser passer pour venir le voir. Je déteste qu'on me traite comme une petite fille. Esca l'a bien compris. Il garde le secret, lui aussi.

Cette nuit, on s'est entrainés jusqu'à… je ne sais pas, c'était vraiment tard. On a arrêté quand il s'est mis à pleuvoir. Je me suis faufilée jusqu'à ma chambre sur la pointe des pieds, mais la porte du couloir a grincé horriblement. J'en avais les cheveux dressés sur la nuque. Il faut que je pense à piquer un peu d'huile à la cuisine pour la graisser. Je n'ai eu que le temps de me jeter dans mon lit, toute habillée, avant que Tante Valéria ne vienne vérifier si je dormais. Ouf, je crois qu'elle ne s'est rendu compte de rien.

Comme je m'étais blessée au poignet et que je ne voulais pas aller voir Justine – si quelqu'un découvre que je m'entraîne à l'épée avec Esca, il aura des ennuis et moi aussi – je suis allée fouiller dans le Prétoire pour voir si Marcus n'y gardait pas un baume ou quelque chose pour soigner les plaies. J'ai cherché pendant un moment, en remuant les boîtes, et j'ai fini par trouver de la cire d'abeille. Je suis retournée dans ma chambre pour en mettre sur ma coupure et j'ai eu juste le temps de finir avant que Valéria ne revienne de Durinum (le village). Elle avait rapporté une potion de chez l'apothicaire et elle a voulu que j'en boive, vu que je m'étais levée tard. Il parait que c'est un remontant à prendre quand on est fatigué. J'ai trouvé que ça avait un goût affreux, mais comme je voulais être en forme pour m'entrainer encore ce soir, je n'ai pas protesté. J'ai quand même trouvé que ce n'était pas très efficace. Ça me donnait sommeil plutôt que de me réveiller.