Sous le Mohwa

Sous le Mohwa

THEME & FICTION : mais enfin, c'est QUOI la différence ?

 

J'entends souvent "oh nous, tu sais, on n'est pas très jungle…" ou dans certains groupes scouts, on ne parle carrément plus de louveteaux, on a laissé tomber cet univers.

 

Pourquoi la pédagogie louveteau perd-t-elle son intérêt ? Pourquoi certains essaient-ils de trouver une autre façon de fonctionner, avec d'autres codes similaires à ceux de la Jungle mais dans un univers différent ? Pourquoi les jeunes meutes démarrent-elles à fond de train pour voir parfois leur bel enthousiasme s'éteindre au bout de quelques années ? Et pourquoi, cependant, d'autres groupes fonctionnent-ils toujours avec des louveteaux plus de quarante ans après leur création ?

 

La réponse est simple.

 

Vous verrez l'aventure s'étioler et la passion mourir très vite si vous confondez fiction et thème. En revanche, si vous faîtes la différence, alors je vous garantis que vous ne vous ennuierez jamais.


 

La Fiction ne change pas. Elle est toujours présente, c'est le cadre de notre vie quotidienne. Elle est comme un pays avec ses lois, ses coutumes, sa langue et son Histoire. Ce n'est pas une option : c'est notre support pédagogique, notre outil. Elle nous permet de transmettre nos valeurs d'une façon claire, organisée, d'aider les enfants à grandir en apprenant à vivre ensemble sans cependant faire de morale. Aux Louveteaux, pour la branche scoute de 8 à 11 ans, c'est la Fiction Jungle qui a été choisie – et cela depuis déjà cent ans. Il n'existe aucune autre fiction aussi bien adaptée à l'âge de ce public, aussi complète et aussi pratique à utiliser.

 

 

Le Thème, lui, est une aventure dans laquelle nous allons sauter pendant un laps de temps précis, sans oublier cependant que nous sommes des loups. C'est comme si les enfants, en venant aux louveteaux, entraient dans l'univers de la Jungle, puis faisaient à partir de là un petit voyage dans une bulle, avant de revenir dans notre monde – qu'ils quitteront à la fin de l'après-midi à l'heure des parents.

Le thème peut changer d'un samedi à l'autre, d'un trimestre à l'autre, d'un camp à l'autre. Il n'a d'autres limites que l'imagination des animateurs. Il peut être suggéré par les enfants ou choisi par les Vieux Loups. Il est relié à une idée-clé que l'on veut expliquer ponctuellement (par exemple, il illustre la sagesse de jungle donnée au début de l'activité).

 

 

Je vais prendre un exemple concret.

 

 

Nous sommes en camp. Akéla chante l'Appel de jungle, les Éléphants préparent le repas, les sizaines embellissent leurs coins. Bagheera anime le Cercle du Feu. Deux louvettes se rendent à l'Arbre Dhak pour régler leur dispute. Au Rocher du Conseil, Pelage Loyal agite ses oreilles pour poser une question.

 

 

Nous sommes dans le quotidien habituel d'un camp louveteau, où la Fiction Jungle, immuable, canon, fait partie de la vie normale, au contraire de ce qui est le quotidien d'une colonie de vacances (où on parlerait de directeur, de monos, de personnel de la cuisine, de "moment spi", d'espace de parole, etc.).

 

 

Mais voilà qu'au milieu de ce train-train paisible débarque un vilain pirate, crasseux et balafré : c'est Akéla déguisé. Planté au milieu du camp, il harangue les enfants à la recherche de flibustiers pour partir attaquer le vaisseau la Licorne. Les enfants tous émoustillés se rassemblent autour de lui. Il sort d'un sac des maillots de marin et des bandeaux. Les loups enfilent ces tenues et se transforment en pirates à leur tour.

 

 

En un instant, nous basculons dans le thème.

 

 

À la fin du jeu, quand nous avons déterré le trésor du pirate et dévoré les pièces d'or en chocolat, il est déjà 17h30 et le pirate nous fait ses adieux émus, en promettant de revenir un jour. Baloo, habillée normalement, aide les enfants à quitter les maillots à rayures et les invite à aller chercher leurs affaires pour la douche.

 

 

Nous quittons le thème, nous redevenons des loups. Akéla, débarrassé de son maquillage de pirate, revient alors et prétend avoir fait la sieste toute l'après-midi et n'être pas du tout au courant de notre aventure. Les pirates sont partis, le camp est de nouveau paisible avec ses piliers rassurants habituels, les enfants peuvent ce soir s'endormir en rêvant de flibuste sans craindre cependant que le méchant ne vienne roder autour des tentes.

 

 

Est-ce que c'est un peu plus clair ?

 

 

Quand nous sommes en thème, des personnages qui n'appartiennent pas à la Jungle font irruption dans notre univers et entraînent les louveteaux dans une aventure. Certains de ces personnages ne sont pas recommandables et ne connaissent pas nos lois et notre devise : ce sont les méchants ou ceux qui changeront de comportement au cours du jeu pour illustrer telle ou telle idée. Certains autres ne sont pas des loups, mais ils ont des codes qui ressemblent aux nôtres : ce sont des chevaliers, par exemple, et ils sont enchantés d'apprendre que leurs nouvelles recrues ont l'habitude de respecter des maximes semblables à celles écrites sur leurs blasons.

 

 

Il n'est absolument pas contradictoire d'être des louveteaux embarqués à bord d'un drakkar. Les enfants adorent expliquer aux personnages qu'ils disent "yalahi" pour dire "oui", par exemple. Ils se délectent de vous raconter leur après-midi quand vous revenez après vous être changés en prétendant les avoir cherchés toute l'après-midi.

 

 

Contrairement aux adultes, les enfants ne confondent jamais la fiction et le thème. Ils sont très à l'aise pour passer de leur univers habituel à cette bulle d'aventure et en revenir.

 

 

Mais comme pour n'importe quelle animation, comme on vous l'apprend au BAFA, il faut bien marquer la fin de la parenthèse et sortir de l'imaginaire du thème (en revanche, nous ne sortons jamais de la fiction : elle commence au moment où l'on enfile son uniforme et se clôt quand on monte dans la voiture des parents). Cependant, il ne s'agit surtout pas d'enlever son déguisement devant les enfants en disant "bon ben c'est fini, allez, zou, on va faire le conseil des sizeniers, maintenant" ! Ce serait vraiment trop triste.

 

 

Au contraire, rivalisez d'inventivité : voici Baloo, par exemple, qui tripote avec curiosité l'artefact magique qui a permis aux loups d'aller sauver la princesse Rose-Bonbon. Il appuie malencontreusement sur un bouton et la petite musique de fin du jeu vidéo retentit : mince alors ! Les personnages sont obligés de se sauver pour retourner dans leur monde. Les loups, pas décontenancés le moins du monde, chuchotent entre eux "ah, ça veut dire que la grande chasse de demain, ce sera la bataille contre le Boss !!!" et filent goûter sans faire de pli. Au réfectoire, ils retrouvent Mère Louve et remarquent avec malice qu'il lui reste quelques paillettes dans les cheveux (elle soutient mordicus qu'elle ne sait pas où elle les a attrapées). On se lave les pattes et on chante, nous sommes à nouveau dans la Jungle.

 

 

Nous acceptons à la meute des loups de huit à onze ans et c'est important de veiller à ce que cette frontière soit bien tracée. Ils sont pile dans l'âge où ce fonctionnement est idéal – le cadre est sécurisé et en même temps leur procure de délicieux frissons. Cependant, vous verrez qu'avec les plus jeunes du groupe et surtout si vous avez admis parmi vous quelques enfants qui ont encore sept ans, la différence entre fiction et thème n'est pas aussi évidente. Il faudra redoubler de prudence et bien clore l'imaginaire à chaque fin de jeu, peut-être même souffler de temps à autre pendant l'aventure que "on fait semblant, hein ! Il n'y a pas vraiment de Barbares cachés derrière la colline. Et le méchant, tu sais… c'est Hathi qui s'est déguisé, en fait."

 


 

Pendant la chasse en thème, il se peut que vous ayez besoin d'intervenir sévèrement parce que des louveteaux ont dépassé les limites du terrain ou que, dans le feu de l'action, certains se montrent bien peu loyaux. À ce moment-là, il vous suffit d'enlever votre casque de romain, de prendre votre voix de vieux loup et de dire sévèrement "alors, là, ce n'est pas le centurion Marcus qui vous parle. C'est Akéla. Et je ne suis vraiment pas content de ce que je viens de voir/entendre. À la meute, ce genre de mots/d'actions, on n'en veut pas. "Un louveteau écoute les vieux loups", vous vous rappelez ? Alors je ne veux plus voir ça jusqu'à la fin du jeu, c'est bien compris ?" Un soupir de "yalahis" impressionnés et penauds vous répondra, vous verrez. Concluez avec un sourire radouci : "Bon. C'est fini la parenthèse. Akéla disparaît et je redeviens Marcus". Les visages vont s'illuminer et les loups se trémousseront de nouveau, prêts à écouter la suite des instructions et à aller en découdre avec les Pictes.

 

 

Les enfants savent quand ils ont dépassé les bornes. Ils seront confus de vous avoir obligés à faire cette parenthèse et à rappeler que nous sommes en train de jouer. Ils préfèrent de loin quand nous faisons semblant tous ensemble. Mais ils ne seront pas surpris de ce discours. En revanche, ils seront déçus et ne s'amuseront pas autant si vous passez constamment de la fiction au thème et vice-versa, si vos costumes sont bâclés et si vous ne faîtes même pas l'effort de prétendre que l'aventure soit réelle.

 


 

Je résume : la Fiction Jungle, toujours présente – le Thème temporaire et variable, en fonction de ce que nous avons choisi pour cette après-midi-là, duquel nous sortons à la fin du jeu.

 

 

 

Au début de l'année – et c'est souvent ce qui prête à confusion et égare les meutes débutantes – on met en place un thème Jungle pour soutenir la Fiction Jungle qui s'installe. Vos jeux raconteront alors des grandes histoires du Livre de la Jungle ou en inventeront d'autres qui font intervenir les personnages bien connus de Baloo, Bagheera, Kaa, Shere Khan, Tabaqui. Peut-être même que vous pourrez faire intervenir Mowgli sous la forme d'une marionnette en feutre…

 

 

Mais même si les Vieux Loups vont bien souvent tenir leur propre rôle dans les chasses, le principe est le même qu'avec un autre thème. On doit terminer l'aventure avant de revenir dans le quotidien d'une manière claire : vous pouvez par exemple ouvrir un grand livre et le refermer comme un symbole à chaque fin de jeu. Les masques que vous utilisez pour le Conseil au Clair de Lune peuvent aussi être portés pendant les chasses pour différencier ces moments-là du reste de l'activité.

 


 

Enfin, dernière chose. Pendant un camp, le thème revient à peu près tous les deux jours, au grand plaisir des enfants. Pendant l'année, il peut s'étaler sur un trimestre (quatre activités, par exemple) ou être présent seulement sur un week-end.

 

 

Il peut être un simple fil rouge (nous avons à chaque fois des aventures avec des pirates, mais pas forcément les mêmes, sans lien d'une aventure à l'autre) ou une histoire en épisodes : chaque jeu nous amène un nouveau développement et nous retrouvons les mêmes personnages (ou du moins une partie d'entre eux) à chaque fois. D'après mon expérience, le style fil rouge est plus facile à gérer pour la préparation – mais l'histoire en épisodes est mille fois plus appréciée des enfants.

 


 

Un thème peut être absolument n'importe quoi, bien sûr, mais rappelez-vous la raison pour laquelle vous avez choisi de servir à la meute et non pas d'animer en centre aéré ou en colo. Nous sommes des louveteaux, ce qui veut dire que nous apprenons par le jeu. Nos thèmes ont donc comme objectif, bien plus que de simplement passer un bon moment de rigolade, d'enseigner quelque chose aux enfants : à vivre ensemble, à se pardonner, à trouver leur place dans la société, à respecter leur corps ou la nature… C'est pourquoi certains thèmes, peut-être très à la mode mais peu pédagogiques, seront laissés de côté au profit d'autres plus compliqués à mettre en place, mais davantage porteurs de sens.

 


 

Vous trouverez sur ce blog des tas d'idées de chasses en thèmes, ainsi que des dossiers de projets d'animation, détaillant comment les mettre en place. Je vous encourage vivement à commencer votre année en thème Jungle, mais à tenter dès janvier l'aventure de sauter dans une bulle différente le temps d'une après-midi. Vous verrez que vos loups adoreront… et que leur intérêt et leur passion pour vivre la Fiction Jungle au quotidien ne diminuera pas pour autant – au contraire !



19/03/2018
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