Sous le Mohwa

TANTE VALERIA

Je m'appelle Valéria. Je suis de la Tribu des Iceni, mais je ne veux pas en parler. J'ai toujours rêvé d'être une belle dame romaine bien habillée et qui sent bon, plutôt qu'une princesse barbare tout couverte de crottin de cheval. Est-ce que ce n'est pas normal ????

J'ai été adoptée par la famille du sénateur Galarius quand j'avais dix ans et je leur serai éternellement reconnaissante de m'avoir éduquée et appris à être civilisée. J'ai voulu donner la même chance à la fille de mon frère Kaeso, Cottia, mais elle ne le comprend vraiment pas. Elle n'arrête pas de répéter qu'elle voudrait retourner voir ses chevaux et vivre dans la nature. Je l'aime beaucoup, mais c'est une vraie petite renarde qui n'arrête pas de me faire tourner en bourrique, surtout en ce moment où… bref. Hum.

Je me suis levée entre la 2^ème et la 3^ème heure, lavée, habillée, parfumée et tout ça avec le concert de ronflement de ma chère nièce dans la chambre voisine. Ce n'est pas elle qui a été réveillée au milieu de la nuit par le grincement suspect de la porte du couloir. J'ai eu tellement peur que je claquais des dents sous mes draps. La lune passait à travers le volet, c'était une heure à craindre les fantômes ! J'ai fini par réussir à rassembler mon courage et je suis allée à pas de loup vers la chambre de Camilla (c'est le nom raffiné que je donne à Cottia) pour voir si elle allait bien – je ne l'entendais pas ronfler, vous comprenez, mais il y avait des bruits comme si quelqu'un marchait sur la pointe des pieds ! – et j'ai vu qu'elle était roulée en boule sous son drap. J'avais les jambes en coton… vous pensez que c'est à ce moment-là que le voleur de la solde est entré dans le Fort ? La nuit dernière ? Oh mes aïeux ! Quelle horreur de penser qu'il était tout près ! Il aurait pu nous égorger vivantes !

J'en avais des palpitations ce matin, alors que je ne savais même pas encore qu'un voleur rodait dans les environs – je ne l'ai su qu'à la 7^ème heure, pendant le repas, quand le centurion Antonius nous l'a raconté. Je n'ai même pas pu avaler mon petit déjeuner. Je me suis regardée dans le miroir et j'avais l'air affreux. Je ne pouvais pas imaginer que je puisse aller à mon rendez-vous avec une mine aussi déconfite alors j'ai proposé à Flavia qu'elle m'accompagne à Durinum (le village d'à côté).

Flavia était de mauvaise humeur parce qu'elle ne pouvait pas faire toute sa lessive tout de suite comme Camilla dormait - pour une fois qu'elle se tenait tranquille, cette gamine, j'étais bien contente. Ça m'a donné une idée, d'ailleurs, et je voulais d'autant plus aller en ville. J'ai fini par convaincre cette petite fée du logis coincée qu'est Flavia et nous sommes parties. J'ai trouvé plein de choses charmantes : des poudres, du rouge, des bijoux. C'était merveilleux. Flavia n'arrêtait pas de soupirer au sujet de son Flavius, comme d'habitude. C'est triste, c'est sûr, mais quand même ! Elle pourrait écouter les histoires des autres gens. Moi, par exemple, si elle n'était pas toujours à ce souvenir de son pauvre mari mort à la guerre, je pourrais lui parler de mon cher et tendre Servius qui… ahem. Qu'est-ce que je disais ? Ah oui. J'ai fini par réussir à la distraire en lui demandant si Esca était malade. Je l'ai vu se rendre chez Justine hier soir. Flavia pense qu'il a peut-être une rage de dents, vu qu'il n'arrêtait pas de grincer des mâchoires ce matin. J'ai profité qu'elle cherchait des clous de girofle pour poser une petite question à l'apothicaire.

Ensuite je suis repartie au fort parce qu'il fallait absolument que je teste – que j'essaie – enfin que je vois quelque chose avant cette après-midi. Flavia est partie je ne sais pas où, au marché.

Quand je suis arrivée, au début de la 7^ème heure, Camilla était dans sa chambre et elle a pris un air embarrassé en me voyant entrer. Il y avait une drôle d'odeur dans l'air – de la cire d'abeille, peut-être. Je ne m'en suis pas trop préoccupée. Je lui ai donné le… remontant, que j'avais acheté chez l'apothicaire et pour une fois elle a obéi directement et l'a bu. J'étais enchantée : la journée s'annonçait bien meilleure que la nuit dernière !

Nous sommes allées manger au triclinium (réfectoire) avec les autres. Il y avait le centurion Antonius, en visite. Il n'arrêtait pas de parler, c'est un vrai moulin à paroles. Il faisait tout le temps de grands gestes. Il n'est pas très raffiné. Je pense qu'il met souvent les pieds dans le plat, parce qu'à un moment Justine s'est vraiment énervée parce qu'il voulait lui rajouter de l'eau dans son vin. Je parie qu'elle lui avait déjà dit non juste avant et qu'il ne l'avait pas écoutée. Justine est très patiente mais elle avait l'air curieusement sur les nerfs, aujourd'hui.

Enfin bref. Ce n'était pas très important. Je n'en pouvais plus d'attendre que le repas soit terminé et que je puisse aller me faire belle pour rejoindre Servius à la roseraie. Mais j'avais à peine commencé à me maquiller que Camilla est entrée dans ma chambre. Elle était très pâle et elle m'a dit qu'elle ne se sentait vraiment pas bien, qu'elle avait vomi dans les latrines. Je l'ai mise au lit avec un linge froid sur le front – on n'allait pas déranger Justine pour un petit mal de ventre – mais son état n'a fait qu'empirer. J'avais beau lui donner à boire, elle n'arrêtait pas de tout recracher et de se plaindre qu'elle avait comme un serpent en train de se tortiller dans l'estomac.

Je voyais bien que mon rendez-vous avec Servius était fichu, mais je ne pouvais pas la laisser là dans cet état. J'ai fini par vraiment m'affoler et je suis partie chercher Justine – et c'est là que tout a commencé ! Mais quelle terrible journée !

Ce que tu essaies de leur faire deviner : tu as acheté un somnifère chez l'apothicaire, pour mettre K.O. Cottia pendant que tu te rendrais à ton rendez-vous galant avec Servius le plaideur (avocat). La potion est parmi les produits de beauté à côté de toi. Les loups le verront… ou ne le verront pas. Ils peuvent en prendre note mais ils ne peuvent pas l'emporter.