Sous le Mohwa

FLAVIA

Je m'appelle Flavia Aquila. J'étais mariée avec Flavius Aquila, le frère aîné de Marcus, mais il est mort il y a douze ans, à Bononia (Boulogne-sur-Mer) au service de l'empereur Carausius, quand celui-ci n'était encore que préfet et que les Francs s'étaient soulevés au nord de la Gaule. Nous n'avions pas d'enfants. Il a fait promettre à Marcus de s'occuper de moi comme si j'étais sa sœur.

C'est Flavius qui m'avait offert le bracelet que j'ai perdu. Il adorait me faire des cadeaux ! Parfois une simple branche fleurie qu'il avait attrapée en passant à cheval sous un arbre, parfois un bijou ou un gâteau de miel… il me manque énormément. Il avait dix ans de plus que Marcus et moi et c'était l'homme le plus courageux et le plus gentil de l'Empire Romain.

Ce matin je me suis levée à la deuxième heure. J'ai fait mes ablutions, je me suis habillée et j'ai déjeuné, puis je suis partie récupérer les draps de chacun dans le fort pour faire la lessive. J'étais un peu contrariée parce que je n'ai pas pu prendre ceux de Cottia parce qu'elle dormait encore : ce n'est pourtant pas dans ses habitudes de faire la grasse matinée. J'ai demandé à Valéria si elle s'était couchée tard, mais elle m'a assurée que sa nièce était au lit hier dès la tombée de la nuit – et que c'était plutôt inhabituel de la voir obéir. Valéria est tout le temps en train de râler après cette pauvre fille. Cottia n'a pas mauvais fond, pourtant. Elle est un peu vive, mais elle a un grand cœur. En tout cas, moi je l'aime bien car elle fait rire Marcus, et ce n'est pas quelque chose qui lui arrive souvent en ce moment…

Elle voudrait que je lui raconte des histoires sur le loup qui suivait Flavius partout, comme un chien, quand on était en Gaule. Flavius l'avait sauvé après qu'un chasseur aie tué sa mère. Il s'appelait juste "Louveteau" et il aimait énormément Flavius. Quand mon mari a été tué au combat, il s'est laissé mourir de chagrin…

J'ai fait la lessive au lavoir – et, non, je n'ai pas utilisé de pipi pour blanchir les draps. C'est peut-être efficace, mais je trouve que l'odeur est très désagréable ensuite. J'aime beaucoup mieux laver les draps avec de l'herbe à savon (saponaire). Ça mousse et ça sent bon. J'ai étendu tout ça avec l'aide d'Esca qui n'avait pas l'air d'avoir le moral – il n'arrêtait pas de bâiller, alors il était peut-être simplement fatigué et de temps en tant il grinçait des dents sans même s'en apercevoir, d'un air très sombre. Vers la cinquième heure, je suis allée rejoindre Valéria qui se rendait à Durinum (le village).

On a fait quelques achats – j'ai remarqué qu'elle achetait beaucoup de produits de beauté. Je me demande ce qu'il y a là-derrière… - et puis on s'est arrêtées chez l'apothicaire. Pendant que je regardais s'il y avait des clous de girofle (Esca a peut-être une rage de dents), Valéria est allée dans l'arrière-boutique parce qu'elle avait commandé quelque chose de spécial. Je ne sais pas quoi, j'ai juste entendu le mot "serpent" à un moment. Elle est revenue avec un bocal qu'elle a vite rangé. Je voulais faire un tour au marché pour voir s'il y avait des peaux de chèvres – Marcus a souvent froid quand il a la fièvre à cause de sa jambe – mais Valéria voulait tout de suite rentrer. Elle avait l'air pressé et surexcité comme une gamine sur le point de faire un mauvais coup. Ce n'était pas très digne de la "dame" romaine qu'elle veut tant être. Mais je suis méchante…

Je lui ai dit de partir devant et que je reviendrais plus tard. Je n'ai pas trouvé de peau qui convienne et les laines étaient très moches. Les gens sont pauvres à cause des récoltes qui ont été mauvaises. Pas étonnant que les barbares nous aient attaqués, s'ils meurent de faim…

J'ai failli être renversée par un chariot en rentrant. Le tribun Placidus, pour ne pas le nommer. Il conduit vraiment comme s'il était dans l'arène. Je m'en suis sortie simplement éclaboussée, mais un petit garçon a été bousculé un peu plus loin. Je suis allée le relever. Comme il a plu hier soir, la route était pleine de boue et il en était recouvert. Je l'ai emmené à la fontaine pour le nettoyer, puis je l'ai ramené chez lui, dans une maison du village, assez loin du Fort. C'est là que je me suis aperçue que c'était le fils de Cradoc – celui qui a mené la révolte des Pictes, l'autre jour. Marcus aimait bien Cradoc, ils allaient chasser ensemble… c'est vraiment triste que ce druide soit venu et qu'il ait semé son vent de colère…

J'étais un peu dans la lune en rentrant à cause de ça, alors je suis presque arrivée en retard pour le repas. À la huitième heure, je me suis dépêchée d'aller décrocher les draps qui séchaient pour pouvoir les remettre sur les lits avant la sieste. J'ai aussi récupéré les draps de Cottia au passage pour les laver. Je ne sais pas ce qu'elle avait fait, mais il y avait des traces de pieds boueux comme si elle s'était couchée avec ses chaussures. Esca m'a accompagnée pour m'aider à porter la corbeille. On était en train de passer devant le Prétoire quand on a vu un serpent s'y faufiler. J'étais terrifiée ! Esca l'a poursuivi à l'intérieur du Prétoire et a réussi à le tuer. Il me l'a montré. C'était un serpent très venimeux, d'après lui. Ça me fait frissonner de penser qu'une telle créature a réussi à s'introduire dans le Fort !

J'étais tellement secouée que j'ai dû aller m'allonger un peu dans ma chambre. Je crois que j'ai un peu somnolé. J'ai rêvé de Flavius – il m'a aussi sauvé d'un serpent, un jour où on était allés pique-niquer au bord du Nil – nous nous sommes mariés en Égypte, c'est là que sont nés Marcus et Flavius.

En me réveillant, je me suis aperçue avec horreur que mon bracelet avait disparu. Vous pensez que c'est l'horrible cambrioleur dont parlait Antonius pendant le repas qui s'est introduit dans le fort et l'a volé avec la solde ?