Sous le Mohwa

Sous le Mohwa

Le Dilemme du Concours de Cuisine

 

 

Il y aura toujours ceux qui diront "le concours de bouffe, c'est scout, il ne faut pas le supprimer ! Moi j'adorais le concours de cuisine quand j'étais gamin !" et puis ceux qui soupireront d'avance parce qu'ils ont déjà vécu l'affaire du point de vue d'un chef et qu'ils savent à quel point ça peut être épineux.

 

Nous, on a tenté le concours de cuisine avec persévérance pendant trois ans. La quatrième année, on a décidé d'arrêter le massacre et de mettre nos observations sur la table pour comprendre pourquoi c'était une telle prise de tête chaque année.

 

1) Les enfants sont en SIZAINES pour cette activité. On sait très bien que cela veut dire des âges différents, des personnalités différentes, des garçons et des filles… tout ce petit monde n'étant pas forcément très content d'appartenir à la même sizaine et ayant déjà pas mal de mal à accepter de manger ensemble tous les repas. Autrement dit, pendant que vous vous débattez avec Pelage Astucieux et Louvette Dévouée pour faire des œufs mimosas, Babine Gracieuse ne touche pas à une seule cuillère et se contente de colorier le menu, Croc Vaillant trempe ses doigts partout et Œil Vif s'est sauvé.

 

2) Tous les enfants n'aiment pas cuisiner.

 

3) Tous les chefs n'aiment pas cuisiner. Etre chef référent d'une sizaine est déjà dur, mais être chef référent d'une sizaine dont les deux tiers préfèreraient faire un foot au lieu d'être là et n'avoir soi-même que très peu d'intérêt pour la préparation de la paëlla peut se révéler une expérience très désagréable.

 

4) La Loi nous impose de plus en plus de restrictions quant à ce que les enfants ont le droit de faire avec la nourriture. Ils n'ont pas non plus le droit d'entrer dans la tente-cuisine et ne peuvent donc rien cuire.

 

5) Le concours de cuisine existe aussi aux Eclais. Considérant qu'on passe environ dix ans de sa vie dans le scoutisme, cela fait DIX concours de cuisine, sans compter les fois où les vieux loups inventent de faire ça dans l'année. Tout le monde n'a pas envie d'aller à Top Chef.

 

6) Le concours de cuisine est un concours : il est donc limité en temps, stressant et arrive avec son cortège de cris à l'injustice (plus ou moins objectifs) : "mais notre gâteau était meilleur que le leur ! ", "ils n'avaient même pas fait de menu, eux !" Il signifie que certains seront hyper déçus alors qu'ils ont travaillé dur et que ce qu'ils ont préparé est tout à fait mangeable.

 

Alors, pourquoi maintenir cette activité ? Parce qu'il s'agit de mettre la main à la pâte et d'apprendre à faire à manger, deux choses qui sont essentielles.

 

La solution que nous avons trouvée, ça a été de supprimer la notion de concours. D'abord, on a tenté de faire une journée "initiation", mais tout le monde ne voulait pas s'inscrire dans l'atelier cuisine, or nous voulions que tous les enfants touchent du doigt ce que signifie "faire à manger".

 

Puis nous avons transformé cette journée terrible où les chefs sont sur les dents pour motiver leurs équipes en une journée où nous préparons tous ensemble la fête finale du camp. O Miracle. Soudain, tout le monde s'est mis à participer.

 

1) Parce que, tout à coup, comme il n'y a plus d'équipe imposée, vous pouvez aller avec vos copines préparer les spaghettis multicolores avec votre cheftaine préférée, pendant que les garçons font des cocktails explosifs en compagnie de leur vieux loup favori. Je vous garantis que l'ambiance est différente.

 

2) Parce que c'est le banquet final que vous préparez et que nous allons tous manger ce que tout le monde prépare, alors on s'applique et on s'intéresse au processus bien davantage.

 

3) Comme c'est le menu du banquet, c'est un menu en thème, et donc bien différent de ceux de d'habitude : des saucisses en forme de pieuvres, une crème bleue, du riz collant qu'on mangera avec des baguettes… tout ça intrigue même ceux qui ne sont pas très gourmands.

 

4) Et puis comme c'est le même repas qu'on prépare tous ensemble, vous pouvez participer à la confection du dessert ou plutôt à celle de l'entrée, ou donner un coup de main pour le plat principal et ensuite aller fabriquer des lampions, sans pour autant avoir échappé à l'activité cuisine.

 

Je dis ça, j'dis rien.

 

Vous pouvez continuer à faire "comme on a toujours fait", le concours de bouffe typique scout, ça ne changera pas la façon dont le monde tourne, mais moi je trouve que c'est beaucoup de stress et d'énervement pour un piètre résultat : on mange à point d'heure, les enfants sont fatigués parce qu'ils ont manqué la sieste, c'est froid ou pas très bon, on donne des médailles à toute la sizaine alors que seulement deux ou trois ont vraiment participé… je peux continuer comme ça longtemps, je frissonne rien qu'à penser à nos expériences passées.

 

Finalement, je crois que la vraie question, c'est celle-ci : pourquoi voulez-vous faire un concours de bouffe ?

 

Parce que vous en faisiez un quand vous étiez petits ? Parce que les enfants que vous avez en face de vous actuellement sont passionnés par Top Chef et vous en rabattent les oreilles ? Parce que c'est une activité qui vous semble indispensable sur la grille de camp ? Parce que vous voulez initier les louveteaux à quelque chose d'essentiel au travers d'une expérience amusante ?

 

Alors posez-vous, réfléchissez. A-t-on vraiment besoin de le faire comme ça ? Pourquoi ne pas tenter autre chose ? Qu'est-ce qui vous en coûte ?

 

Depuis neuf ans qu'on a changé notre façon de fonctionner, la journée "cuisine" est toujours aussi épuisante, mais elle se déroule maintenant dans la bonne humeur. En ce qui me concerne, je suis contente d'être débarrassée du carcan "concours" pour vraiment faire "de la cuisine" avec les louveteaux.

 

A vous maintenant de faire votre choix…

 



10/04/2016
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